L’Assemblée nationale et le Sénat s’apprêtent à remettre en cause nos libertés fondamentales en votant, via une procédure accélérée, une proposition de loi portant sur le secret des affaires.
Ce texte, qui sera étudié en séance publique à l’Assemblée nationale le 27 mars 2018 et qui porte sur « la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites », est la transposition d’une directive européenne adoptée en 2016 malgré les mises en garde des ONG, des syndicats, des journalistes, des chercheurs et l’opposition massive des citoyens. Cette directive a été élaborée par les lobbies des multinationales et des banques d’affaires qui souhaitaient un droit plus protecteur pour leurs secrets de fabrication et leurs projets stratégiques, alors que le vol de documents et la propriété intellectuelle sont déjà encadrés par la loi.
La France dispose de marges de manœuvre importantes pour la transposition de la directive dans notre droit national, et peut préserver les libertés tout en respectant le droit européen. Pourtant, le gouvernement et la majorité semblent avoir choisi, en catimini, de retenir une option remettant gravement en cause l’intérêt général et le droit des citoyens à l’information. La proposition de loi sur le secret des affaires a des implications juridiques, sociales, environnementales et sanitaires graves. De fait, ce texte pourrait verrouiller l’information à la fois sur les pratiques et les produits commercialisés par les entreprises.
En effet, la définition des « secrets d’affaires » est si vaste que n’importe quelle information interne à une entreprise peut désormais être classée dans cette catégorie. L’infraction au secret des affaires aurait lieu dès lors que ces informations seraient obtenues ou diffusées et leur divulgation serait passible de sanctions pénales. Les dérogations instituées par le texte sont trop faibles pour garantir l’exercice des libertés fondamentales. Des scandales comme celui du médiator ou du bisphénol A, ou des affaires comme les Panama Papers ou LuxLeaks pourraient ne plus être portés à la connaissance des citoyens.
Qu’il s’agisse d’informations sur les pratiques fiscales des entreprises, de données d’intérêt général relatives à la santé publique ou liées à la protection de l’environnement et à la santé des consommateurs, les journalistes, les scientifiques, les syndicats, les ONG ou les lanceurs d’alertes qui s’aventureraient à rendre publiques de telles informations s’exposeraient à une procédure judiciaire longue et coûteuse, que la plupart d’entre eux seraient incapables d’assumer face aux moyens dont disposent les multinationales et les banques. C’est là le pouvoir de cette loi : devenir une arme de dissuasion massive.
Pour les téméraires qui briseront cette loi du silence, on peut toujours espérer que les tribunaux feront primer la liberté d’expression et d’informer. La récente affaire Conforama indique plutôt le contraire. Les soi-disant garanties proposées par le gouvernement français ne couvrent pas tous les domaines de la société civile et notamment le travail des associations environnementales. Ces dérogations ne sont qu’un piètre hommage aux grands principes de la liberté d’informer. Elles ne vaudront pas grand-chose devant une juridiction armée d’un nouveau droit érigeant le secret des affaires en principe, et la révélation d’informations d’intérêt public en exception.
Cette offensive sans précédent sur notre droit à l’information est un enjeu démocratique majeur qui est en train de mobiliser l’ensemble de la société civile, comme le montre le succès de la pétition dans ce sens. Lanceurs d’alertes, syndicats, ONG, journalistes, avocats, chercheurs et citoyens : nous nous opposerons à l’adoption en l’état de cette loi. Le droit à l’information et l’intérêt des citoyens ne sauraient être restreints au profit du secret des affaires.
(Tribune publiée dans l’édition du Monde du mercredi 21 mars 2018)
SIGNATAIRES
Aiquel Pablo, journaliste, SNJ-CGT
Alt Éric, vice-Président de l’association ANTICOR
Apel-Muller Patrick, directeur de la rédaction de l’Humanité
Beynel Eric, porte-parole de l’union syndicale Solidaires
Binet Sophie, Secrétaire générale adjointe de l’UGICT CGT
Borrel Thomas, porte-parole de Survie
Cellier Dominique, président de Sciences Citoyennes
Compain Florent, Président Les Amis de la Terre France
Cossart Sandra, Directrice de Sherpa
Deltour Antoine, lanceur d’alertes Luxleaks
Dr Arazi Marc, lanceur d’alerte du Phonegate
Dupré Mathilde, Présidente du Forum citoyen pour la RSE
Du Roy Ivan, journaliste, co-rédacteur en chef de Basta!
Julliard Jean-François, directeur-exécutif de Greenpeace France
Kalinowski Wojtek, Co-Directeur de l’Institut Veblen
Ingrid Kragl, directrice de l’information, Foodwatch
Kotlicki Marie-José, secrétaire générale de l’UGICT CGT
Lepers Elliot, Directeur de l’ONG “Le Mouvement”
Lucet Élise, journaliste
Merckaert Jean, rédacteur en chef de la Revue Projet
Monfort Patrick, Secrétaire général du SNCS-FSU
Kamenka Patrick, journaliste, SNJ-CGT
Perrin Edouard, journaliste, Président du Collectif “Informer N’est Pas un Délit”
Peres Eric, Secretaire général de FO Cadres
Petitjean Olivier, journaliste, coordinateur de l’Observatoire des multinationales.
Plihon Dominique, économiste, porte-parole d’Attac
Potier Julie, Directrice de BIO CONSOM’ACTEURS
Poilane Emmanuel, Directeur Général de France Libertés et Président du CRID
Raffin Patrick, photographe
Ramaux Christophe, économiste à l’Université Paris 1, membre des Economistes atterrés
Remy Clément, Président de l’ONG POLLINIS
Roques Laurence, Présidente du Syndicat des avocats de France
Rousseaux Agnès, journaliste, co-rédactrice en chef de Basta!
Salamand Bernard, Ritimo
Thibaud Clément, président de l’Association des Historiens Contemporanéistes de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche
Trouvé Aurélie, porte parole d’ATTAC
Vire Emmanuel, Secrétaire général du Syndicat national des Journalistes CGT (SNJ-CGT)
Et aussi :
CrimHalt, Collectif On ne se taira pas !, Alternatives Economiques, La Télé Libre, Ingénieurs Sans Frontières-AgriSTA, Fédération CGT des finances
Et :
La Société des journalistes des Échos, La Société des rédacteurs du Monde, La Société des journalistes de TV5 Monde, La Société des journalistes du Point, La Société des journalistes de France 2, La Société des journalistes et du personnel de Libération, La Société des journalistes de BFMTV, La Société des journalistes de Premières Lignes, La Société des journalistes de Challenges, La Société des journalistes de RMC, La Société des journalistes de Mediapart, La Société des journalistes de Télérama, La Société des personnels de l’Humanité, La Société des journalistes du JDD
Pour signer la pétition
Je suis écrivain, libraire et bibliothécaire et occasionnellement journaliste. Cette loi scélérate nous empêchera de lancer des alertes sur la santé et l’environnement.