Nous allons tous et toutes être sollicités pour le remplacement gratuit de nos compteurs classiques par des compteurs « intelligents », d’abord électriques avec le Linky (EDF) – alors que sa mise en place en France est estimée à 5 milliards d’euros à l’horizon 2020 -, viendra ensuite pour le gaz de ville Gazpar (GrDF- ENGIE), et très certainement à terme le remplacement du compteur d’eau avec des compteurs connectés type Consospy. Tous sont reliés à Internet par radio, c’est-à-dire sans fil, et donc interrogeables à distance en permanence, avec toutes les ondes additionnelles afférentes et des milliers d’antennes-relais nouvelles.
A cette occasion, vous découvrez que votre compteur électrique ainsi que votre compteur à gaz ne vous appartiennent pas, mais sont la propriété de votre commune ou de la communauté de communes. En ce qui concerne les compteurs d’eau, ils ne vous appartiennent pas non plus et vous sont loués (le saviez-vous et avez-vous déjà regardé le tarif de la location, certes minime, mais à des millions d’exemplaires ?) par la société délégataire en cas de délégation du service public de l’eau à une société privée (dans le cas de ma ville de résidence, Céret, Véolia) ou bien par votre commune en cas de régie municipale. Si bien que nous ne pouvons théoriquement pas nous opposer à leur changement ; et que le seul blocage possible doit être issu d’une délibération municipale, comme dans les Pyrénées-Orientales, l’ont fait la ville d’Ille-sur-Têt et une dizaine de villages, à moins d’une décision nationale tout comme l’ont fait l’Allemagne et la Belgique.
Parmi tous les risques induits par ces nouveaux compteurs connectés, il en est un qui est peut-être le moins connu mais le plus dangereux à terme : il s’agit de leur capacité à vous «espionner» en permanence quant à vos habitudes de vie et de consommation et de la facilité à accumuler des données personnelles vous concernant.
En effet, le marché mondial des données personnelles est en pleine expansion, celles-ci étant le véritable nouvel « or noir » de l’économie numérique Web 2.0 du XXIe siècle. L’accumulation de ces données concernant tout individu de la planète est la base du modèle économique des géants comme Google, Facebook, Twitter, Amazon, Apple…, et ce afin de «cibler» au mieux tout consommateur pour quelque produit ou activité que ce soit. Ces données sont collectées en permanence dans d’immenses Big Data centers ; et des sociétés spécialisées, les Data brokers (actuellement 270 dans le monde), se chargent du commerce mondial d’échanges de fichiers de données personnelles sur la base de la « Valeur vie client (VVC) » correspondant à la somme des profits actualisés attendus en moyenne sur la durée de vie d’un client type. Pour l’Union européenne, l’ensemble des données personnelles de tous les citoyens a été évalué à 315 milliards d’euros en 2011 par le Boston Consulting Group (BCG), et l’estimation pour 2020 atteint 1000 milliards de dollars compte tenu de la croissance de l’économie numérique.
Si la «valeur» des données basiques (âge, sexe, adresse) d’un individu ne se situe qu’autour d’un euro sur le marché mondial, il n’en va pas de même dès que des données plus fines concernant votre profil de consommateur sont disponibles. D’après une étude de 2013 du BCG, actuellement un individu «vaut» sur le marché mondial des échanges de données personnelles en moyenne en Europe 600 euros. Parmi ces données fines, on relève : les origines, le niveau d’éducation, la situation maritale, le nombre d’enfants, la profession, les revenus, les habitudes de vie quotidienne, la possession de smartphones, les consommations diverses (tabac, alcool… mais aussi l’eau, le gaz et l’électricité), les centres d’intérêt, les problèmes de santé, les éventuelles insomnies…
Et tout est bon pour assurer la collecte à tel point qu’aujourd’hui tout un service semi-occulte de La Poste participe par la revente de données à la bonne santé financière de l’entreprise. Alors dans ce contexte, les compteurs connectés seront une véritable aubaine, d’autant qu’ils précéderont de peu vos futurs appareils électro-ménagers «intelligents» (c’est-à-dire eux aussi connectés) ainsi que vos achats «intelligents» (c’est-à-dire pucés et interrogeables à distance, tel votre paquet de café de votre marque préférée interrogé dans votre placard par un géant de la distribution).
Certes des voix, telles la Ligue des droits de l’homme, se font entendre pour demander à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), autorité française de contrôle en matière de protection des données personnelles, de vérifier le respect du « Pack de conformité » proposé par EDF en ce qui concerne le Linky ; et elles demandent un moratoire sur le déploiement actuel des Linky tant que des contre-feux concrets et efficaces ne sont pas mis en place.