Paris, le 16 novembre 2016
Monsieur le Président,
L’arrestation par les forces turques de notre confrère Olivier Bertrand, alors qu’il effectuait dans la province de Gaziantep un reportage pour le site Les Jours, a mis en relief, une fois de plus, la difficulté à exercer cette profession en Turquie.
Sa libération rapide, obtenue sur intervention française, a été un soulagement pour tous.
Mais qu’en est-il des journalistes turcs ?
Depuis la tentative de coup d’État du 15 juillet et la mise en place de l’état d’urgence, ils sont victimes de purges sans précédent. Aujourd’hui 185 médias ont été fermés. 148 journalistes sont emprisonnés transformant la Turquie en une prison, la plus grande au monde pour nos confrères. Le jour même où Olivier Bertrand était interpellé, le dirigeant du quotidien d’opposition Cumhuriyet, Akin Atalay, était arrêté, opération qui suivait l’incarcération du rédacteur en chef de ce quotidien et de plusieurs collaborateurs du journal.
Par ailleurs, nous déplorons que dans cette situation quelque 3 000 journalistes se trouvent privés d’emploi et des dizaines d’autres contraints à l’exil pour éviter de lourdes condamnations d’une justice aux ordres d’un pouvoir ivre de vengeance contre les journalistes des médias d’opposition.
Par de tels actes la Turquie viole l’Article 10 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, garantissant le droit à la liberté d’expression, dont elle est pourtant signataire.
Les syndicats SNJ, SNJ-CGT, CFDT-Journalistes, membres de la FIJ (Fédération internationale des journalistes. 600 000 adhérents), dénoncent cette situation attentatoire aux libertés publiques dans un pays qui est candidat à intégrer l’Union européenne.
La France se doit de s’engager plus avant dans la défense ferme et publique des principes de la liberté de la presse et du pluralisme d’opinion. La France doit contribuer à ce que la communauté internationale, et en premier lieu l’Europe, hausse le ton et induise la Turquie à :
– Mettre fin aux rafles contre les journalistes turcs et kurdes.
– Faire libérer les journalistes détenus.
– Abroger les décrets-lois ordonnant la fermeture et l’expropriation de plus d’une centaine de médias, y compris le quotidien kurde Özgür Gündem et le quotidien d’opinion Cumhuriyet.
– Abolir toute forme de censure, de surveillance de masse et de restriction de la liberté d’expression et d’opinion et à la liberté de pensée, de religion ou de croyance.
– S’assurer que le droit à liberté d’expression et d’opinion et le droit de réunion pacifique et d’association soient pleinement protégés, et notamment le droit d’être informé par tous les moyens, en ligne et hors ligne, conformément aux dispositions des articles 19, 21 et 22 du PIDCP.
– Faire que la France intervienne auprès du fournisseur Eutelsat pour rétablir la diffusion des chaînes kurdes qui ont été coupées sous pression d’Ankara.
Monsieur le Président, vous pouvez, par un geste symbolique important, concrétiser ces demandes.
Recevez Can Dündar, directeur de la rédaction de Cumhuriyet, qui a été emprisonné et poursuivi pour avoir simplement exercé sa profession. Menacé d’une lourde peine de détention il a dû fuir son pays et est actuellement réfugié en Allemagne et Dilek Dündar, son épouse qui, pour avoir tenté de l’aider, s’est vu bloquée en Turquie par la rétention de son passeport par les autorités turques.
Monsieur le Président, c’est l’honneur de la France de défendre les libertés chaque fois qu’elle peut le faire.
Nous vous remercions de l’attention favorable que vous réserverez à ce courrier et vous prions d’agréer, l’expression de notre haute considération.
SNJ
SNJ-CGT
CFDT journalistes