Entretien avec la journaliste turque Ayşe Düzkan, enfin sortie de prison

0  -  Article mis à jour le 26 juillet 2019
Ayşe Düzkan est journaliste et auteure turque. Elle a commencé sa carrière dans les années 70. En tant que journaliste, elle a collaboré à de nombreux titres nationaux d’opposition. elle a également été comme reportrice. Elle a écrit plusieurs livres et traduit des ouvrages pour la défense des femmes, notamment au Moyen Orient. Syndicaliste, elle est membre de la direction du syndicat turc Disk Basın. Elle a été condamnée à 18 mois de prison pour avoir exprimé sa solidarité avec le média kurde Özgür Gündem, interdit de publication, accusé de soutenir la cause du PKK, parti interdit par le régime du chef de l’Etat turc Recep Tayyip Erdogan. Elle a été libérée le 11 juin et a accordé au SNJ-CGT cet entretien. Plus de 150 journalistes sont détenus en Turquie, la plus grande prison de journalistes au monde.

Ayse, vous avez enfin été libérée. C’est une bonne nouvelle mais comment vous avez vécu cette détention ?

J’ai été libérée le 11 juin, mais aussitôt placée sous contrôle judiciaire, ce qui signifie que je dois me rendre deux fois par semaine au commissariat de police pour vérification et en plus je suis obligée d’effectuer 4 heures de travaux d’intérêt général chaque jour ouvrable. Et comme par ironie, je fais ces travaux au tribunal de Çağlayan, là où j’ai été arrêtée. J’ai été détenue dans deux prisons différentes. La première se trouvait à Bakırköy, où je suis restée près de 4 mois, et ensuite à Cifteler pour 18 jours. A Cifteler, les détenus pouvaient passer du temps dans le jardin de la centrale et téléphoner librement. A Bakırköy, j’ai préféré rester isolée. Il y a eu une grève de la faim, je sais qu’un confrère journaliste y a participé, Hicran Urun, avec peut-être d’autres journalistes. Pendant ma détention j’ai croisé d’autres confrères détenus au moment de la visite des avocats au parloir. Nous pouvions aussi nous écrire. Je n’ai pas été plus mal traitée que d’autres prisonniers, mais le directeur de la prison m’a privée de télévision et de réfrigérateur. Légalement, j’aurais pu être libérée plus tôt sous contrôle judiciaire, au bout de 6 semaines, mais cela n’a été possible qu’après la requête en contestation de mon avocat, c’est à dire dire après 4 mois… On m’a demandé de signer une déclaration disant que je cessais toute relation avec « l’organisation », le PKK, mais j’ai refusé.

Votre cas est emblématique : vous êtes une femme, journaliste et syndicaliste. Votre arrestation puis votre privation de liberté signifient-elles que le gouvernement turc de l’AKP cherche ainsi à faire peur à vos collègues pour qu’ils cessent les luttes ?

Je pense que chaque détention est destinée à « punir », mais aussi à dissuader et faire peur aux autres. Depuis 2000, bien que de nationalité turque, j’ai écrit de temps à autre des éditoriaux pour des journaux kurdes. Je pense que c’est un autre facteur important de ma détention, car comme vous le savez, l’autre journaliste arrêté, Murat Çelikkan, est turc également.

Est-ce que le mouvement de solidarité en Europe est suffisant pour faire cesser les atteintes à la liberté de la presse et stopper les détentions de journalistes, aujourd’hui estimées à plus de 150 ?

J’estime que le mouvement de solidarité en Europe pour les journalistes turcs est très important, particulièrement la solidarité venant de pays comme la Bosnie-Herzegovina que le régime turc considère comme son arrière cour. Je crois surtout que la solidarité venant de pays où les populations sont en majorité musulmanes, comme la Palestine et l’Egypte, serait très importante car cela aurait un impact sur notre populaion aussi bien que sur le gouvernement.

Que pouvons-nous faire de plus, à votre avis, pour aider à la libération de nos confrères en Turquie, alors que les gouvernements européens ne font pas d’efforts conséquents pour faire pression sur Ankara ?

En qualité de journalistes, nous avons le privilège d’avoir accès à une information significative sur les affaires et les relations internationales entre les Etats. Nous avons connaissance des nombreux liens financiers, militaires, etc., entre les gouvernements. Rendre publiques ces relations auprès des citoyens européens pourrait changer la donne.

Propos recueillis par Patrick Kamenka

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