Le marché de dupes du droit voisin

0  -  Article mis à jour le 5 mars 2020

Communiqué du SNJ-CGT

Dans son édition du 4 mars, Le Monde assure que « ces dernières semaines, Google a proposé à des journaux français de les rémunérer pour faire apparaître leurs articles dans un espace destiné à des contenus de médias d’information ». Le quotidien évoque des discussions en cours avec Le Figaro, le groupe Les Echos-Le Parisien, Le Monde « et aussi des titres de presse régionale comme Ouest-France », pour des sommes qui pourraient atteindre 90 000 à 900 000 euros par an et par titre, « selon des sources proches des discussions ».

A la mi-février, c’est le Wall Street Journal qui, le premier, avait révélé ces échanges entre Google et certains éditeurs français. Le quotidien américain précisait que des discussions exploratoires avaient eu lieu avec les directions des groupes du Monde et du Figaro, « portant sur le développement de nouveaux produits incluant des accords financiers en contrepartie de la publication d’informations fournies par eux ».

Les épisodes passés ne peuvent qu’inciter au scepticisme et à une grande vigilance. Rappelons l’opération de février 2013 à l’Elysée, entre Google et les éditeurs.

Les épisodes passés ne peuvent qu’inciter au scepticisme et à une grande vigilance. Rappelons l’opération de février 2013 à l’Elysée, entre Google et les éditeurs. L’AIPG (Association de la presse d’information politique générale) avait alors signé un accord dans lequel le moteur de recherche s’engageait à verser une somme dérisoire aux éditeurs ayant présenté des dossiers de développement des technologies numériques. L’opération, en présence du président de la République François Hollande et de quelques ministres, s’est faite sans référence à la notion de droit d’auteur, niant ainsi la notion de création et la titularité des droits des journalistes.

Il est de notoriété publique que Google a multiplié les campagnes de publicité dans les principaux quotidiens français, Le Monde, Le Figaro et Les Echos et leurs déclinaisons magazine.

Par ailleurs, tout s’éclaire en recoupant certaines informations. Ainsi, il est de notoriété publique que Google a multiplié les campagnes de publicité dans les principaux quotidiens français, Le Monde, Le Figaro et Les Echos et leurs déclinaisons magazines (M Le magazine, Télérama, L’Obs, La Vie, Le Figaro Magazine, Les Echos magazine, etc.) depuis quelques mois. Pas sans arrière-pensée, puisqu’on a appris le 5 février que Le Monde avait rejoint l’application Subscribe with Google, « afin de soutenir la croissance de nouveaux abonnés numériques et la fidélisation des abonnés déjà existants ».

Le vice-président de Google, Richard Gingras, n’a pas caché les véritables raisons de l’accord : « Nous avons fait connaître, il y a quelques mois, notre volonté de travailler plus étroitement avec les éditeurs de presse français et nous sommes ravis de collaborer avec les titres du Groupe Le Monde sur leur projet d’innovation ». C’est strictement ce que rapporte le Wall Street Journal quand il parle de « développement de nouveaux produits incluant des accords financiers en contrepartie de la publication d’informations fournies par eux. »

Le patron Google fait décidément preuve de générosité envers les grands groupes, désormais contrôlés par des industriels, mais il n’est pas fait mention des titres indépendants.

Richard Gingras a également cité de possibles accords portant sur le programme Google News Initiative avec les éditeurs français. Le patron Google fait décidément preuve de générosité envers les grands groupes, désormais contrôlés par des industriels, mais il n’est pas fait mention des titres indépendants. La boucle est bouclée et il est significatif que Le Monde soit le fer de lance d’un marché de dupes – pour les journalistes, pas pour les patrons -, qui échange des technologies pour le développement numérique contre des contenus.

Google est-il vraiment prêt à « payer des contenus » comme l’assure Le Monde ? Jusqu’à maintenant, la plateforme l’a toujours refusé et l’a encore rappelé au moment de la transposition dans le droit français de la directive européenne sur le « droit voisin des éditeurs ». D’ailleurs, les discussions en cours sont-elles un moyen de contourner ce principe du « droit voisin » ? Dans un cas comme dans l’autre, les grands perdants risquent bien d’être, une fois de plus, les journalistes, puisque la directive n’interdit pas des accords sans revenus au titre du droit voisin.

Par ailleurs, quid des titres indépendants, mais aussi d’autres types de médias, comme l’AFP ou encore l’audiovisuel, dont les rédactions numériques sont de gros contributeurs aux contenus des réseaux sociaux et plateformes 

Toute tentative d’entente entre les GAFA et les éditeurs pour spolier les journalistes-auteurs sera dénoncée comme telle et combattue.

Le SNJ-CGT, dès 2016 et la mission confiée à Laurence Franceschini, avait exprimé son opposition à la création d’un droit voisin pour les éditeurs. A l’époque, la proposition reprenait au mot près une revendication patronale de 2012, où, déjà, les droits d’auteurs des journalistes n’étaient pas mentionnés. Dès le vote de la directive en mars 2019, le SNJ-CGT a annoncé qu’il serait très vigilant quant au partage de la valeur des contenus et à la reconnaissance des journalistes-auteurs. Toute tentative d’entente entre les GAFA et les éditeurs pour spolier les journalistes-auteurs sera dénoncée comme telle et combattue.

Les droits d’auteurs sont un droit de l’Homme, un conquis social de la Révolution, qui ne se galvaude pas. Le SNJ-CGT appelle la profession à s’emparer de cette revendication en interpellant les directions. Le SNJ-CGT appelle à un front commun, face à un patronat qui nie toujours les droits de l’auteur salarié et face à des plateformes qui captent la publicité grâce à la reprise des œuvres des journalistes.

Montreuil, le 4 mars 2020

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Photo Thomas Koller

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