“L’Equipe” : les salariés prennent la parole

0  -  Article mis à jour le 15 juin 2020
La direction de L’Equipe a détaillé ce qu’elle entend imposer dans son “accord de performance collective” : une diminution de 16 jours de RTT et une baisse de 10 % des salaires. Lors de la réunion de CSE du 12 juin, les élus ont, en réponse, lu certains des messages de salariés qu’ils ont reçus ces derniers jours. Nous les reproduisons ci-dessous.

« Je ne comprends même pas qu’on puisse accepter de s’asseoir avec la direction quand on voit la base de discussion qu’elle propose. C’est tout simplement à gerber. On a déjà, tous, énormément donné de notre personne pendant le Covid pour faire tourner le journal et en posant des dizaines de jours de pseudo-congés. La direction veut gagner sur tous les terrains mais ce qu’elle propose, c’est du délire, du jamais-vu. Entre le salaire et les RTT, elle nous demande de lui donner deux mois de boulot, ni plus ni moins ! »

« Moi qui vis dans cette maison depuis de nombreuses années maintenant, je suis anéantie de voir où nous en sommes arrivés. Le Covid est certes une épreuve difficile, mais elle touche tout le monde, c’est pourquoi je ne pensais pas que la Direction proposerait de telles mesures. »

En une vingtaine d’années de maison, j’ai travaillé plus de 400 dimanches, j’ai passé en cumulé 7 ans en nocturne, j’ai passé une dizaine de Noëls au journal.

« L’accord sur les 35 heures est intervenu en même temps que la parution le dimanche. Or, ça a destructuré nos vies. Avant, tu avais un jour de repos fixe. Aujourd’hui, tu n’as jamais les mêmes jours de repos d’une semaine à l’autre. Ça veut dire que tu ne peux t’impliquer dans aucune autre activité que ton boulot, sans parler de la vie de famille, des week-ends sans voir tes enfants. C’est simple, j’ai regardé : en une vingtaine d’années de maison, j’ai travaillé plus de 400 dimanches, j’ai passé en cumulé 7 ans en nocturne, j’ai passé une dizaine de Noëls au journal. Alors quand on me demande de m’aligner sur d’autres entités, ça me blesse personnellement. C’est injuste. Ces jours de repos, c’est la contrepartie de cette flexibilité. »

« J’ai une trentaine d’années, des crédits de fou, si on m’enlève plusieurs centaines d’euros par mois je pète un plomb car je ne boucle plus mes mois. 10 %, c’est hallucinant. Ils croient qu’on est chez les Bisounours ? »

« Pendant le confinement, on nous a dit de poser nos CP et RTT pour ne pas perdre de salaire. Pour nous remercier, la direction veut nous imposer une baisse équivalente au chômage partiel, mais pendant plus de quatre ans, jusqu’à fin 2024. On nous prend vraiment pour des cons. »

Rien n’indique que l’emploi sera préservé puisqu’il n’y a pas d’engagement à remplacer les personnes qui partent.

« Le message de Jean-Louis Pelé explique que la contrepartie de la direction en échange de nos efforts, c’est de ne pas faire de licenciements pour motif économique d’ici 2024. C’est tout ? Mais il ne faut pas être dupe, ça ne veut pas dire qu’elle ne va pas nous virer autrement. Dans ce message, rien n’indique que l’emploi sera préservé puisqu’il n’y a pas d’engagement à remplacer les personnes qui partent. »

Où est le projet d’entreprise d’ici aux JO de 2024 ? Cet événement devrait nous porter mais on sait maintenant que quoi qu’il arrive, on sera viré juste après.

« Pourquoi devrait-on faire ces efforts ? C’est quoi la stratégie derrière ? À part économiser de l’argent sur le dos des salariés pendant quatre ans et ensuite virer un max de monde à moindre frais une fois les Jeux de Paris passés. Ça donne envie, ça ? C’est supposé nous motiver pour les mois qui viennent ? Où est le projet d’entreprise d’ici aux JO de 2024 ? Cet événement devrait nous porter mais on sait maintenant que quoi qu’il arrive, on sera viré juste après. »

Je n’en peux plus d’être dirigé par des gens qui ne connaissent rien à notre métier, qui considèrent qu’on a trop de congés alors qu’on travaille les soirs et les week-ends pendant que eux peuvent profiter de leur famille.

« Mais ils se moquent de qui ? Je n’en peux plus d’être dirigé par des gens qui ne connaissent rien à notre métier, qui considèrent qu’on a trop de congés alors qu’on travaille les soirs et les week-ends pendant que eux peuvent profiter de leur famille. Le message envoyé par Jean-Louis Pelé montre bien qu’on veut nous faire payer la crise sanitaire, alors qu’on a fait déjà fait de nombreux efforts. Il commence en disant que le 8 juin est une date historique pour l’entreprise parce qu’on retourne au travail – mais il croit qu’on se tourne les pouces depuis mi-mars ? – et parce qu’il va proposer un accord nous obligeant à travailler deux mois gratuitement par an. À ce niveau, c’est plus de la maladresse, c’est du mépris. On nous crache au visage. »

C’est tout simplement suicidaire éditorialement parlant.

« Ce projet n’a aucun sens. Pour sortir de l’ornière, il faut s’organiser différemment à effectif constant, mieux utiliser les outils qui sont les nôtres, et repenser les leviers d’audience au-delà du seul « toujours plus de contenus ». C’est le job de la DG et de la direction de la rédaction. La situation actuelle, même avant la crise du Covid, relève de leur seule responsabilité. La rédaction a été plus que docile et volontaire ces dernières années. Tailler dans les revenus, essorer encore davantage les salariés, c’est de la cosmétique comptable cynique à souhait (« pourquoi pas maintenant ? » on rêve !) mais c’est tout simplement suicidaire éditorialement parlant. »

Il y aura toujours un prétexte pour réclamer une nouvelle baisse.

« Il y aura toujours un prétexte pour réclamer une nouvelle baisse. On ne va pas me faire croire que l’intéressement compensera quoi que ce soit. Ça doit faire vingt ans qu’on n’a touché ni intéressement ni participation, c’est facile de jouer avec les comptes et de faire partir de l’argent vers les autres filiales du groupe. Le Futuroscope, on en reparle ? Et tout l’argent qui est parti au Parisien ? On nous a grugés de combien d’années d’intéressement depuis 2000 ? Maintenant, ce sont les revenus du web gratuit qui vont à L’Equipe 24. Les dés sont pipés et on est sûr de perdre. »

« Ce projet est un manque de respect et de considération terrible. Il situe bien l’estime que porte la direction – à tous les niveaux – à ses salariés. Et au même moment où on veut nous faire avaler ces couleuvres, on nous demande déjà de faire des efforts pour la reprise ! Mais comment être motivé par de tels discours, un tel mépris ? »

« La paupérisation d’une rédaction n’avance à rien. Ce qui est dingue, là, est qu’on a un tas de gros événements sur les quatre prochaines années. Quel message tu envoies ? Ou alors tu ne crois plus en ton journal, tu ne crois plus en tes journalistes, tu veux juste faire des économies et tout tirer vers le bas. »

Je ne vois pas une seconde comment on pourrait faire tourner un journal et un site Internet avec des dizaines de personnes en moins.

« Je ne vois pas une seconde comment on pourrait faire tourner un journal et un site Internet avec des dizaines de personnes en moins. La direction veut nous faire peur pour qu’on accepte n’importe quoi. Et si on accepte une fois, on aura définitivement perdu car la direction pourra le refaire quand elle le veut. Il ne faut rien signer, rien lâcher. »

« Cette gestion donne l’impression qu’on est gérés par des comptables sans vision ni recul. Je ne sais pas si au fond, la motivation de tout ça est de vendre le journal à moyen terme, mais je ressens ça comme une sorte de braquage. »

Tout ça est surréaliste et ne repose que sur la volonté de la direction de nous faire payer le Covid-19.

« Tout ça est surréaliste et ne repose que sur la volonté de la direction de nous faire payer le Covid-19 et de profiter d’une situation conjoncturelle pour acter des sanctions structurelles. À qui la faute si on est en difficulté parce que le sport s’est arrêté et que le journal n’a rien fait pour que ça reprenne ? »

« Je suis sous le choc. La direction profite que les gens soient déboussolés pour faire passer tout ça. Je comprendrais mieux si on était au bord de la faillite. Je ne comprends pas cette précipitation alors que ça va démarrer, les compétitions vont reprendre. Il aurait fallu attendre quelques mois. »

Combien de dividendes ont touché les actionnaires lorsque notre Resop [résultat opérationnel] était bon trois années de suite, sans que les employés ne touchent participation et intéressement ?

« C’est honteux. Après les premières rumeurs, il y a eu ce communiqué laudatif à notre encontre de Marie-Odile Amaury qui annonce également qu’elle place Aurore et Jean-Étienne Amaury à la DG. Suivi quelques heures après par le mail couperet de Jean-Louis Pelé. Peut-on faire pire, niveau timing ? On nous demande d’augmenter notre temps de travail pour s’aligner sur les salariés du groupe ? Travaillent-ils les week-ends, soirs et jours fériés sans compensation financière ? Si on renonce à des RTT, il faut que cette pénibilité et spécificité soient reconnues autrement. J’aimerais aussi savoir combien de dividendes ont par exemple touché les actionnaires lorsque notre Resop [résultat opérationnel] était bon trois années de suite, sans que les employés ne touchent participation et intéressement ? »

« Il ne sera pas inutile d’informer nos dirigeants que leur initiative risque de mettre en péril la situation de beaucoup de familles dont l’équilibre économique repose en majeure partie dans le seul salaire de leur salarié, et qu’il n’est pas inenvisageable que je sois dans l’obligation de trouver un autre boulot pour compenser la perte de revenus. Si on va vers ce qu’ils veulent, il n’est pas impensable que je demande à un de mes fils de se trouver un vrai job, pour financer ses études. Il a encore 18 ans… Il faut qu’ils le sachent, car je ne sais pas ce qu’ils feraient dans ce cas. »

« Nous avons pris nos congés, RTT et chômage partiel, nous avons fait des efforts l’hiver dernier lors des grèves et du mouvement des gilets jaunes, pendant le Covid également. M. Pelé nous indique qu’il maintenait les augmentations individuelles mais ça fait bien longtemps que nous n’avons plus d’augmentation individuelle (plus de dix ans). On a un résultat opérationnel de la SAS positif depuis 3 ans et vite, vite, il faut nous mettre au pain sec. Je suis contre les propositions de la direction. »

Il n’y a pas de stratégie éditoriale de relance.

« La contribution financière des salariés pour les RTT a duré presque dix ans. À l’époque, avec l’aide de l’État, cela a permis de lancer le journal du 7e jour et qui a bien entendu modifié les emplois du temps des journalistes. Il n’y a pas de stratégie éditoriale de relance. Ils peuvent attendre la reprise pour lancer un tel plan. De nombreux évènements sportifs s’annoncent pour 2021. Je crois que dans un article du Figaro, Madame Amaury avait annoncé qu’elle pouvait faire face… »

« À peine sortis de la crise sanitaire, alors que nous ne sommes pas encore de retour à Quai Ouest, que nous sommes au chômage partiel, on nous annonce un état de crise économique tel qu’on va devoir céder 16 RTT sans nous les payer ! Subir une baisse de nos salaires de 10 % ce qui est intolérable ! C’est travailler plus pour gagner moins. Depuis cette annonce, je suis complètement stressée et angoissée. Mais comment ne pas l’être quand on nous menace de nous amputer d’une partie d’un petit salaire. »

Faisant partie d’un service qui a perdu le tiers de ses effectifs lors du dernier plan social je suis très méfiante quant à la volonté de notre direction de préserver les emplois.

« Je ne comprends pas le « travailler plus et gagner moins » dans un contexte d’événements sportifs très riches de 2020 à 2024. Faisant partie d’un service qui a perdu le tiers de ses effectifs lors du dernier plan social je suis très méfiante quant à la volonté de notre direction de préserver les emplois. D’autant qu’il est clairement annoncé que le problème est la masse salariale. Moi qui croyais encore naïvement que nous participions à la richesse de ce groupe… »

Je ressens ça comme du mépris. Leur méconnaissance de notre travail confine au manque de respect.

« Pendant le Covid, j’ai été profondément choquée par le manque d’humanité dont nos chefs et la direction ont fait preuve. Mais je comprenais que la situation était terrible pour le journal et j’étais prête à renoncer à des jours, même à pas mal de jours, si ça devait permettre de sauver des emplois. Quand je vois ce qu’on nous demande, je ne suis plus du tout prête à renoncer à des jours. Je ressens ça comme du mépris. Leur méconnaissance de notre travail confine au manque de respect.

Et il faudrait en plus leur donner un mois et demi de salaire par an ? Dans un journal qui gagne de l’argent depuis trois ans, qui en gagne tellement qu’il peut envoyer les recettes du web à la télé ? Avec une trésorerie pleine, avec une actionnaire qui l’a d’ailleurs souligné dans une interview en avril : « le groupe a toujours été géré avec prudence afin de faire face aux aléas qui ne manquent jamais de survenir. Nous avons une trésorerie qui nous permet de passer les obstacles ». Et donc ? Finalement non ? Finalement on nomme ses enfants DG en plein marasme et on demande à ses salariés de donner un mois et demi de salaire ?

On n’est pas augmenté, on ne touche pas de primes, on est appelé constamment pendant nos vacances. Nos RTT, on ne les vole pas.

Après la mutualisation et le changement de locaux, destinés à bien nous montrer à quel point on a tellement peu de qualités individuelles qu’on est tous interchangeables, je prends cet accord comme un crachat en plein visage, je suis profondément en colère. On n’est pas augmenté, on ne touche pas de primes, on est appelé constamment pendant nos vacances. Nos RTT, on ne les vole pas. Qu’ils arrêtent de nous faire passer pour des faignasses pique-assiette. L’Equipe a été fait par des journalistes, pas par des financiers. »

Voir l’interview de Denis Perez, délégué syndical SNJ-CGT à l’Equipe, sur le site de l’Humanité

Lire également les communiqués de l’intersyndicale de L’Equipe :

“L’Équipe : une stratégie en toc”, 4 juin 2020

“L’Equipe : la stratégie du choc”, 31 mai 2020

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