Le journaliste anglais Tim Dawson suit et rend compte du procès de Julian Assange à Londres pour la Fédération internationale des journalistes (FIJ). Voici la traduction d’un de ses articles, paru en anglais sur le site de la FIJ le 10 septembre.
« Si vous criminalisez la collecte d’informations, vous criminalisez le journalisme. C’est un devoir moral pour les journalistes de protéger leurs sources. Beaucoup sont allés en prison pour protéger ce principe. » Suivez l’audience de Julian Assange à Londres avec le représentant de la FIJ, Tim Dawson.
Il leur a fallu un certain temps pour s’échauffer, mais le duel entre James Lewis QC et le professeur Mark Feldstein de l’université du Maryland a mis à nu certaines questions fondamentales pour les journalistes, lors du procès de Julian Assange.
Tous deux se sont rendus à Old Bailey, à Londres : James Lewis plaidant pour le gouvernement américain afin que Julian Assange soit extradé ; Mark Feldstein a été appelé en tant qu’expert pour expliquer le fonctionnement du travail des journalistes.
Lewis est au barreau depuis plus de 30 ans et fait l’autopromotion de sa personne ainsi: « Un homme charmant avec un méga-cerveau ». Et pour tenter de démolir le témoignage et la réputation de son adversaire, il n’a pas hésiter à déployer une technique d’avocat classique : poser une série de questions apparemment simples qui doivent conduire le témoin dans un piège duquel il ne peut s’échapper sans compromettre ses propres preuves. Ou du moins, c’était ce qu’il espérait.
Extraits :
– Lewis : « A votre avis, Professeur, les journalistes sont-ils au-dessus des lois ?« –
Feldstein : « Non, Monsieur, évidemment« .
– Lewis : « Et pensez-vous qu’un journaliste devrait être autorisé à pirater l’ordinateur de quelqu’un pour découvrir des affaires privées, ou cambrioler son domicile ? »
– Feldstein : « Non, je ne pense pas. »
– Lewis : « Donc si un journaliste aide quelqu’un à cambrioler une maison ou à pirater un ordinateur pour obtenir des informations, peut-on s’accorder sur le fait qu’il a clairement enfreint la loi ? »
– Feldstein, après une pause : « Ça dépend de l’affaire évidemment, mais cela demande réflexion. »
On ne sait pas si c’est le dénouement que Lewis espérait, mais d’après les témoignages précédents de Feldstein, il est clair que ce point est fondamental pour l’affaire qui nous intéresse actuellement.
Le professeur Feldstein a décrit comment, au cours de sa propre et éminente carrière de journaliste, il avait fréquemment reçu des informations faisant l’objet de fuites.
Le professeur Feldstein a décrit comment, au cours de sa propre et éminente carrière de journaliste, il avait fréquemment reçu des informations faisant l’objet de fuites. Il a déclaré que le fait d’aider une source à obtenir des informations protégée ou de cacher son identité était une « procédure habituelle pour les journalistes » et une notion qu’il a enseignée à ses propres étudiants en journalisme.
L’avocat a tenté ensuite une nouvelle attaque.
– Lewis : « Êtes-vous d’accord avec moi, Professeur, pour dire qu’il y a des secrets qu’un État a le droit de garder ? Les mouvements de troupes sur un terrain de guerre ou ses codes nucléaires, par exemple ? »
– Feldstein : « Bien sûr. »
– Lewis : « Donc, si quelqu’un essaie de voler des informations sur les mouvements de troupes pendant un conflit, les codes nucléaires d’un État ou du matériel qui pourrait mettre des personnes en danger, il est donc raisonnable de considérer cela comme un crime. »
Les deux premiers cas sont sans équivoque, le troisième est une prise de conscience beaucoup plus ténue.
« Si vous criminalisez la collecte d’informations, vous criminalisez le journalisme. C’est un devoir moral pour les journalistes de protéger leurs sources. Beaucoup sont allés ou vont en prison pour protéger ce principe. »
Mark Feldstein, université du Maryland
Mais Feldstein revient en force : « Si vous criminalisez la collecte d’informations, vous criminalisez le journalisme. C’est un devoir moral pour les journalistes de protéger leurs sources. Beaucoup sont allés ou vont en prison pour protéger ce principe. »
Le professeur a poursuivi en disant qu’il pensait que le gouvernement américain pourrait, avec cette affaire, essayer de créer des précédents qui lui permettraient de poursuivre d’autres journalistes. Ce point est celui sur lequel repose toute cette affaire de Wikileaks et de Julian Assange.
Les actes pour lesquels l’extradition et les poursuites sont demandées sont clairement ceux qui auraient pu être commis par n’importe quel journaliste d’investigation.
Que vous considériez ou non Assange comme un journaliste ou que vous vous demandiez s’il a bien fait de publier des informations pas toujours expurgées sont des questions périphériques.
D’autres preuves fournies par Feldstein ont mis en évidence le risque que cette décision pourrait représenter, étant donné la fréquence avec laquelle les administrations américaines envisagent de poursuivre les journalistes qui reçoivent des informations « non officielles ».
Ainsi, Richard Nixon espérait faire taire Jack Adamson (même en envisageant de le faire tuer), par exemple, et Obama a cherché désespérément des moyens de faire comparaître Assange devant un tribunal.
Le témoin précédent, au procès Assange, l’éminent avocat des droits de l’Homme, Clive Stafford Smith, a clairement illustré ce qui pourrait être perdu si l’obtention de fuites était criminalisée. Il a décrit un système de gouvernement américain qui, depuis le 11 septembre 2001, a cherché à classifier presque toutes les informations en sa possession.
Voici un exemple fascinant de l’absurdité de cette démarche : « Lorsque je suis allé voir un Britannique pour la première fois à Guantanamo Bay, il m’a donné 30 pages sur les tortures qu’il avait subies. Tous ces documents ont immédiatement été classés secrets, car le fait de révéler la torture constituait une menace pour la sécurité nationale (des États-Unis)« .
Stafford Smith a fait valoir que « l’obsession des États-Unis après le 11 septembre pour le secret » montrait que la plupart des documents classifiés étaient simplement gênants. « Et si la réception d’information classifiés est criminalisée demain, il n’y aura plus grand-chose à signaler à l’avenir pour les journalistes », dit-il.
« Les révélations de Wikileaks ont contribué à mettre fin à un programme américain, qui avait pour cible les journalistes entre autres. »
Stafford Smith, avocat
Stafford Smith a également illustré de manière très vivante l’importance plus générale du journalisme. « Les révélations de Wikileaks ont contribué à mettre fin à un programme américain, qui avait pour cible les journalistes entre autres », a-t-il déclaré. Et elles ont également fourni des éléments qui ont mis fin aux attaques de drones au Pakistan. Il a précisé enfin qu’il avait personnellement utilisé des documents divulgués par Assange pour obtenir la libération d’innocents incarcérés à Guantanamo Bay.
Le défi pour l’équipe juridique d’Assange au cours des trois semaines d’audience, est de persuader à la fois le juge, et le public en général, de cette affaire.
La liste des témoins semble encourageante : Daniel Ellsberg, le divulgateur des documents du Pentagone, est cité, tout comme les éminents journalistes Patrick Cockburn et Noam Chomsky. Reste à savoir s’ils seront suffisants pour convaincre la juge Vanessa Baraitser.
Jusqu’à présent, peu de décisions ont été favorables à la défense. Les avocats ont demandé qu’Assange siège avec eux dans le tribunal, plutôt que sur le banc des accusés, ce qui leur a été refusé. Ils ont cherché à faire annuler les nouvelles accusations portées au cours de l’été. En vain. Et leur demande d’un ajournement de trois mois pour se préparer à répondre aux nouvelles accusations a également été rejetée.
Si Assange est extradé, il devra répondre à des accusations qui pourraient lui valoir 175 ans de prison.
Ce qui ne fait aucun doute, en revanche, c’est que si Assange est extradé, il devra répondre à des accusations qui pourraient lui valoir 175 ans de prison. Il serait placé en isolement et n’aurait guère accès à sa famille, ses amis ou ses avocats.
Malgré les conséquences personnelles d’une telle condamnation, cette extradition fera réfléchir à l’avenir les journalistes à qui on proposera des informations américaines classées secret défense.
L’audience se poursuit.
Tim Dawson (Londres)