Proposition de loi « Narcotrafic »: répressive et inefficace, sans moyens pour les services publics

0  -  Article mis à jour le 20 mars 2025

Communiqué de la CGT

La CGT, avec ses organisations dans les champs concernés dénonce avec force la proposition de loi «Sortir la France du Piège du Narcotrafic», qui repose uniquement sur la répression, sans donner les moyens nécessaires aux services publics pour lutter efficacement contre le haut du spectre du trafic de stupéfiants.

Cette loi, élaborée sans étude d’impact, ne répond pas aux réalités du terrain. Plutôt que d’adopter une stratégie globale, elle s’enferme dans une surenchère pénale.

Cette loi, élaborée sans étude d’impact, ne répond pas aux réalités du terrain. Plutôt que d’adopter une stratégie globale intégrant d’une part prévention, politiques d’insertion et réinsertion et d’autre part le contrôle des flux de marchandises et lutte contre le blanchiment d’argent, elle s’enferme dans une surenchère pénale qui risque d’engorger encore plus les tribunaux et les prisons, sans effet durable sur le trafic et l’accompagnement des personnes concernées.

Une loi qui mise tout sur la répression sans s’attaquer aux causes du problème

Ce texte ne traite ni la question des circuits financiers, ni celle des flux logistiques du trafic de drogue. En concentrant les efforts sur des sanctions renforcées et un allongement des peines, cette loi risque d’être inefficace face aux enjeux réels du narcotrafic.

  • L’aggravation de l’infraction d’association de malfaiteurs risque d’entraîner des poursuites rapides contre des petits exécutants du trafic, sans toucher les structures criminelles organisées. Pire, le texte ne précise pas s’il se limite au «trafic de stupéfiants», ouvrant ainsi la porte à une application bien plus large. Alors que les gouvernements successifs ont multiplié les tentatives de criminalisation de l’action militante, cette disposition constitue une menace directe pour les libertés fondamentales. 

  • L’allongement des peines et des mesures de surveillance alourdira encore plus le travail des magistrat∙es et des forces de l’ordre, sans impact démontré sur le trafic. 

  • Un recours élargi aux cours d’assises pour certains mineurs remet en question les principes fondamentaux de la justice des mineurs, qui repose sur un accompagnement spécifique et faisant primer l’éducatif.

Cette approche n’a jamais permis de faire reculer le narcotrafic, mais contribue à surcharger les prisons et à saturer les services judiciaires.

Une loi qui porte gravement atteinte aux libertés publiques et aux droits fondamentaux

Une loi qui, dans sa version adoptée au Sénat, porte atteinte notamment: 


  • Au droit au respect de la vie privée des personnes visées et de leur entourage, par l’activation à distance des objets connectés; 

  • À la protection des données personnelles et des communications, par la mise en place de «portes dérobées» dans les messageries chiffrées; 

  • Au droit à un procès contradictoire et équitable, avec la constitution d’un «dossier coffre» qui ne serait pas accessible aux personnes poursuivies.

Non seulement de telles atteintes à des droits fondamentaux sont totalement disproportionnées dans un État de droit, mais en plus certaines de ces atteintes pourraient être utilisées au détriment des militant∙es.

Non seulement de telles atteintes à des droits fondamentaux sont totalement disproportionnées dans un État de droit, mais en plus certaines de ces atteintes pourraient être utilisées au détriment des militant∙es. Ces atteintes ont été retirées du texte discuté à l’Assemblée nationale mais rien ne garantit qu’il ne soit pas réintroduit par le gouvernement.

Une loi qui porte également atteinte au droit au logement donnant la possibilité aux préfets d’ordonner l’expulsion de familles entières pour des infractions même mineures. Elle pose le principe de «l’expulsion représailles» qui frapperait les autres occupant∙es du logement et qui constitue pour l’auteur de l’infraction une double peine.

Aucun moyen supplémentaire pour les services publics

Une loi ne vaut rien sans moyens pour l’appliquer. Or, cette réforme n’accorde aucun renfort aux services publics qui luttent réellement contre le narcotrafic: 


  • Les Douanes sont toujours sous-dotées, alors que l’écrasante majorité des stupéfiants entre en France par les ports et aéroports. 

  • La Police Judiciaire, affaiblie par sa réforme, manque de moyens humains et matériels pour démanteler les réseaux criminels. 

  • Les services financiers et TRACFIN, pourtant essentiels pour traquer l’argent du trafic, sont absents du texte.

Plutôt que de donner des moyens aux enquêteurs, au renseignement financier et aux unités spécialisées, cette loi alourdit la charge des services de police et de justice déjà sous tension, sans offrir les outils nécessaires pour démanteler efficacement les filières.

Une loi qui oublie totalement la prévention et la santé publique

Ce texte ignore totalement les leviers de prévention et de réinsertion, pourtant cruciaux pour limiter l’impact des trafics sur la société: 


  • Aucune mesure pour renforcer les politiques publiques de cohésion sociale, les moyens pour les professionnel∙les du travail social et médico-social, qui jouent un rôle clé dans l’accompagnement, la prévention et la réduction des risques
  • Donner des moyens à la protection de l’enfance, car un jeune délinquant est un enfant en souffrance. Donner des moyens pour la prévention primaire, une fois l’enfant signalé en danger. Privilégier l’éducatif au répressif pour notre jeunesse. 

  • Pas de soutien pour les services de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ) et des Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation (SPIP), dont les missions restent l’accompagnement global des personnes qui leurs sont confiées en vue de leur insertion ou réinsertion. 

  • Aucune réflexion sur les stratégies de réduction des risques (Service d’addictologie), alors que les questions de santé publique sont essentielles dans la gestion du phénomène.

Ignorer ces aspects, c’est refuser de prendre en compte la complexité du narcotrafic et ses impacts sociaux.

Une loi qui nous ramène 40 ans en arrière

La loi «sortir la France du piège du narcotrafic» s’accompagne de la création d’établissements fléchés destinés à accueillir les détenus évalués (par qui? Comment?) comme les plus dangereux. Ces prisons, voulues comme ultra sécurisées ne sont rien de moins qu’un retour des Quartiers de Haute Sécurité (QHS) pourtant supprimés au début des années 1980 tant ils présentent des conditions de détention incompatibles avec le fonctionnement d’un Etat de droit (isolement pour une période de 4 ans renouvelables, restrictions de promenades et du maintien des liens familiaux…).

Une autre politique est possible: des moyens et une stratégie cohérente

Plutôt qu’un énième texte répressif, la CGT exige une politique de lutte contre le narcotrafic réellement efficace et équilibrée, qui repose sur: 


  • Des moyens concrets pour la Police Judiciaire, les Douanes et la police financière, afin de frapper les réseaux là où ça fait mal: l’organisation et l’argent; 

  • Des moyens concrets pour un accompagnement global de qualité des personnes placées sous- main de justice; 

  • Une véritable lutte contre le blanchiment d’argent, en renforçant les capacités d’investigation financière et les services spécialisés; 

  • Un investissement massif dans la prévention et la santé publique, pour réduire l’emprise du narcotrafic sur les territoires.

En l’état, cette loi est un texte inefficace, construit dans l’urgence, qui ne changera rien sur le terrain.

La CGT appelle à une refonte complète de la politique de lutte contre le narcotrafic, pour sortir enfin des postures sécuritaires inefficaces et mettre en place des solutions qui tiennent compte des réalités du terrain et des besoins des services publics.

Montreuil, le 19 mars 2025.

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