Communiqué intersyndical France Télévisions*
Vous le savez peut-être, mardi 25 mars, la direction organise un séminaire intitulé «Le journaliste de demain: quelles activités pour quels médias?» Comme l’indique assez clairement le titre de ce communiqué, les organisations syndicales CFDT, CGC, CGT, SNJ et Sud et UNSA de France Télévisions ne s’y rendront pas. En effet, nous avons constaté une approche déséquilibrée et très orientée des différents travaux préparatoires (ateliers, questionnaire et document interne). On vous explique.
Ce séminaire, à l’origine, était une demande de notre part. Et nos attentes, somme toute, assez simples, basiques même. Nous souhaitions, à l’heure des transformations numériques, de l’IA, des fake news, des attaques d’Elon Musk & Co contre les médias, prendre le temps de définir ensemble ce que doit être un «contenu journalistique» (pour reprendre la sémantique de la direction). Et ce que doit être le journalisme à France Télévisions.
Cela aurait permis d’avoir une définition commune avant de passer à l’étape de la négociation et de la consultation des instances: quel cadre pour l’utilisation de l’IA? Quelles tâches pour les journalistes? Comment distinguer clairement un contenu journalistique des interviews tournées par les services de communication?
Hélas, le mur était au tournant. La direction a détourné cette demande, légitime, progressiste, et y a vu l’occasion de téléporter les journalistes à «demain» sans considérer leur «présent». De la pure science-fiction qui pourrait, sans aucun doute, devenir réalité.
Pour notre PDG, le journaliste «multifonctions» est une obsession depuis des années. Lors du CSE central du 8 octobre 2024, Delphine Ernotte avait déclaré «on est archaïques sur certains métiers», visant spécifiquement les journalistes.
Elle colle là au discours de notre PDG, pour qui le journaliste «multifonctions» est une obsession depuis des années. Lors du CSE central du 8 octobre 2024, Delphine Ernotte avait déclaré «on est archaïques sur certains métiers», visant spécifiquement les journalistes: «Il y a des sujets qui fâchent concernant les monteurs, les journalistes. Tous les sortants des écoles de journalisme savent faire les deux. On n’est pas d’équerre.»
Une projection qui ne colle pas, en revanche, aux réalités de terrain remontées cahin-caha lors des ateliers journalistes organisés en janvier et février. Encadrés par un cabinet de consultants, les salariés volontaires ont pu s’exprimer, oui, mais à partir d’une grille de lecture parfois futuriste évoquant pour les journalistes de potentielles «nouvelles activités» (sous-titrage, archivage des rushes, saisie de synthés, podcast, programmation d’invités…). Peut-on être reporter pendant quarante ans en empilant ainsi les tâches? La question n’est évidemment jamais abordée.
Les remarques des journalistes (fatigue, précarité, manque de temps de réflexion et d’autonomie, envie de travailler sur le numérique mais pas en étant multitâches, perte de sens, lassitude, utilisation de l’IA) n’ont jamais été prises en compte.
Leurs remarques (fatigue, précarité, manque de temps de réflexion et d’autonomie, envie de travailler sur le numérique mais pas en étant multitâches, perte de sens, lassitude, utilisation de l’IA) n’ont, en revanche, jamais été prises en compte. Premier écueil.
Puis vinrent les questionnaires, envoyés à l’ensemble des journalistes de France Télévisions. Un questionnaire très orienté qui, parlant des prérequis journalistes, ne les définit jamais, mais suggère pourtant de les dépasser. Quand ce n’est pas exhorté: «Demain, en dehors des prérequis de votre métier, quelles sont les activités que vous devrez faire différemment d’après vous?»
Le coup de grâce est venu avec un document préparatoire reçu par erreur par certains participants des ateliers, qui tire les conclusions d’un séminaire qui n’a pas eu lieu.
Le coup de grâce est venu avec ce document préparatoire reçu par erreur par certains participants des ateliers. Un Powerpoint destiné au «Copil», réalisé le 6 janvier dernier, bien avant les ateliers, bien avant le questionnaire et qui tire les conclusions d’un séminaire qui n’a pas eu lieu. Vous le trouverez en lien ici.
Les éléments de langage y sont saisissants. «Agir plutôt qu’écouter». «Aligner le collectif sur ce qui impacte les métiers du journaliste?» «Projeter cela en termes d’évolutions des activités et en termes de médias à investir». «Aller jusqu’aux compétences nécessaires?»
Les conclusions (préfabriquées donc) le sont davantage encore. «Nous aurons réussi le séminaire si on a partagé les convictions suivantes:
- Accepter les porosités entre les métiers contribuant à l’éditorial…
- Quand on est sur le terrain (hors des murs), sur certains formats, il faut un minimum de polyvalence. »
En somme, tout le contraire de ce que nous demandions.
Le 25 mars ne sera pas un séminaire journalistes mais un faux débat partisan, doublé d’une séance «d’alignement» de cerveaux. Avec comme objectif implicite: préparer les journalistes à faire toujours plus en étant encore moins nombreux. Parions qu’il ressortira de cette grand-messe, des pistes pour «augmenter la productivité» des journalistes, «leurs poly-compétences». Le tout portant, bien évidemment, l’estampille: «validé par les journalistes eux-mêmes».
Les organisations syndicales demandent une réelle réflexion sur le journalisme et en particulier numérique. Leur avenir ne passe pas par l’empilement des «activités», mais au contraire par davantage de moyens et d’ambitions. Une ambition qui doit passer aussi par la qualité de l’information que nous produisons. Ce mot, n’apparait jamais sur aucun document.
Les organisations syndicales demandent une réelle réflexion sur le journalisme et en particulier numérique. Leur avenir ne passe pas par l’empilement des «activités», mais au contraire par davantage de moyens et d’ambitions.
Une ambition qui doit passer aussi par la qualité de l’information que nous produisons. Ce mot, n’apparait jamais sur aucun document. Le service public et notre démocratie méritent mieux. Les journalistes de France Télévisions aussi.
L’avenir du journalisme à France Télévisions est un sujet crucial, où le projet éditorial, le sens au travail et la santé des salariés doivent pourtant être au cœur de nos réflexions collectives.
Maintenant, vous savez tout. Les organisations syndicales refusent de participer à cette mascarade. Bien sûr, chacun est libre de son choix, car vous l’avez, le choix. Nous ne sommes pas ici pour vous donner des leçons de morale, mais simplement vous mettre en garde sur où vous mettrez les pieds et votre cerveau, le 25 mars.
Prenez garde de ne rien perdre au passage ou, au contraire, de vous voir greffer deux bras supplémentaires.
Paris, le 21 mars 2025.
* CFDT, CFE-CGC, CGT, SNJ, Sud
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