Loi Avia : où sont les juges ?

1  -  Article mis à jour le 15 juin 2020

  

Communiqué SNJ-CGT et Ugict-CGT

Définitivement votée le 13 mai par l’Assemblée nationale, la loi « visant à lutter contre la haine sur Internet » – dite « loi Avia », du nom de la députée LREM Laetitia Avia qui l’a portée -, fait l’objet d’un recours devant le Conseil constitutionnel. Ce dernier devrait se prononcer courant juin.

Les objectifs de la loi tels qu’officiellement affichés ne sont évidemment pas contestables. Mais les moyens posent sérieusement question.

Les objectifs de la loi tels qu’officiellement affichés ne sont évidemment pas contestables. Ainsi, l’exposé des motifs de la proposition de loi faisait état d’une volonté de « lutter contre la propagation des discours de haine sur Internet » et contre « l’attaque d’autrui pour ce qu’il est, en raison de ses origines, de sa religion, de son sexe ou de son orientation sexuelle ».

Mais les moyens posent sérieusement question. Le SNJ-CGT et la CGT des ingés, cadres et techs (Ugict-CGT) dénoncent en effet une loi qui met à mal la liberté d’expression, fait courir de graves risques de censure et confie à l’administration et aux plateformes Internet des prérogatives qui devraient rester celles des seuls juges.

La loi oblige à partir du 1er juillet « de retirer ou de rendre inaccessible dans un délai maximal de 24 heures après notification tout contenu comportant manifestement une incitation à la haine ou une injure discriminatoire à raison de la race, de la religion, du sexe, de l’orientation sexuelle ou du handicap ». Le délai peut même être ramené à une heure, notamment pour ce qui sera considéré comme des contenus à visée « terroriste ».

Les amendes pourront atteindre 1,25 million d’euros et c’est au Conseil supérieur de l’audiovisuel qu’il reviendra de contrôler le respect par les plateformes d’autres obligations : transparence sur les mesures mises en place, coopération avec la justice…

Les « notifications » en question pourront émaner d’une « personne physique », d’une « personne morale » ou d’une « autorité administrative ». Il pourra donc s’agir, entre autres, des services de police. Ces notifications et l’éventuelle décision par l’opérateur de retirer des contenus ne nécessiteront pas l’intervention d’un juge.

La crainte d’amendes très conséquentes ne peut qu’amener les opérateurs à avoir une interprétation extensive de la notion de « discours de haine », les amenant à retirer des contenus qui ne tomberaient pas sous le coup de la loi.

La crainte d’amendes très conséquentes ne peut qu’amener les opérateurs à avoir une interprétation extensive de la notion de « discours de haine », les amenant à retirer des contenus qui ne tomberaient pas sous le coup de la loi.

Dans une contribution envoyée au Conseil constitutionnel, La Quadrature du Net et Franciliens.net, estiment que les délais – 24 heures ou une heure – imposés par cette loi « aggrave[nt] hors de toute proportion acceptable les risques d’erreurs techniques ou juridiques propres au dispositif de censure administrative, ainsi que les risques d’abus de la part d’une administration qui échappe à tout contre-pouvoir effectif ».

La caractérisation des « actes de terrorisme » est tout sauf évidente, car ils « ne sont pas explicitement définis par la loi française ».

D’autant, remarquent les deux associations, que la caractérisation des « actes de terrorisme » est tout sauf évidente, car ils « ne sont pas explicitement définis par la loi française ». Elles ajoutent qu’une directive de 2017 relative à la lutte contre le terrorisme précise qu’un « acte de terrorisme » peut se limiter à des « pertes économiques » et que « pour relever du terrorisme, il suffit que l’acte vise à « contraindre indûment des pouvoirs publics ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque » ». La porte ouverte à bien des interprétations pour interdire certains discours ou prises de position…

Déposée à l’Assemblée nationale en mars 2019, la proposition de loi était le résultat du rapport intitulé « Renforcer la lutte contre le racisme et l’antisémitisme sur Internet », remis à Edouard Philippe en septembre 2018 et déjà cosigné par Laetitia Avia.

Dès mars 2019, le texte avait fait l’objet de critiques du Conseil national du numérique, qui estimait qu’à côté « des mesures visant à renforcer la responsabilisation des plateformes », il en fallait d’autres « visant à rendre le droit en vigueur plus efficace (y compris en donnant plus de moyens à la Justice) ». Le Conseil national du numérique listait également « dix enjeux » que « les pouvoirs publics devraient prendre en compte », dont ceux de « protéger les droits fondamentaux et, surtout, la liberté d’expression », « prévoir des recours effectifs » et « responsabiliser les entreprises sans que la fonction de modération des contenus ne renforce les plus puissantes d’entre elles ».

La Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) s’était déclarée en juillet 2019 « inquiète » d’une proposition de loi jugée « inadéquate et disproportionnée ».

De son côté, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), dans un avis rendu en juillet 2019, s’était déclarée « inquiète » d’une proposition de loi jugée « inadéquate et disproportionnée ». En délégant aux acteurs privés la responsabilité de qualifier et retirer les contenus haineux dans un délai de 24 heures après un signalement sous peine d’amende conséquente, la proposition de loi encourage les plateformes, par excès de prudence […] à retirer des contenus n’étant pas manifestement haineux et renforce le pouvoir des plateformes les plus importantes au détriment des plus petites , insistait la CNCDH, qui rappelait « que c’est au juge, et à lui seul, d’apprécier le caractère abusif de l’exercice de la liberté d’expression »

Les lois qui régissent la liberté d’expression et de la presse existent déjà, principalement la loi de 1881.

Pour le SNJ-CGT et l’Ugict-CGT, l’arbitraire n’a pas sa place en matière de liberté d’expression. Les grandes plateformes et réseaux sociaux n’ont pas à décider qui a le droit de s’exprimer, ni sur quel sujet. Une telle instrumentalisation des technologies numériques serait une atteinte à la pluralité d’expression, aux libertés citoyennes et aux droits fondamentaux.

Les lois qui régissent la liberté d’expression et de la presse existent déjà, principalement la loi de 1881. C’est à un juge, sur la base de cette législation, qu’il incombe de décider si telle publication est légale ou non. Au lieu de réduire les moyens dont dispose la justice française, le gouvernement doit au contraire les renforcer, au regard notamment des nouvelles questions posées par le développement des outils de communication numériques.

Montreuil, le 9 juin 2020

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