Pour un “Média” des travailleurs.ses

0  -  Article mis à jour le 5 octobre 2020

Communiqué de la CGT Le Média

Malgré la volonté de presque tous, et grâce aux brillantes idées de Serge Faubert, représentant du Syndicat national des journalistes (SNJ), le Média s’est retrouvé une fois de plus dans la presse. Il en a fallu peu pour que cette nouvelle crise se transforme en aubaine pour tous ceux qui souhaitent que notre outil de travail se casse la gueule, emportant avec lui notre façon de faire du journalisme libre et indépendant. Si l’objectif est de faire fermer la boîte et plus généralement de mettre un terme à l’expérience du Média, Serge Faubert suit assurément le bon chemin. Il affirme faire tout cela pour défendre “les travailleurs”, mais pas tous : seulement ceux qui ont demandé une extension de leur forfait-jour, accompagnée d’une augmentation de salaire consistante et coûteuse, c’est-à-dire Serge Faubert et Denis Robert.

Rien pour les autres, cependant, et tant pis si nous risquons toutes et tous de perdre notre travail. Cela ne semble pas inquiéter Serge, ni le SNJ, engagés dans la défense de deux salariés, par ailleurs parmi les mieux payés.

Au delà des communiqués mensongers diffusés par le SNJ, en effet, ce qui compte ici est de clarifier les souffrances auxquelles nous sommes soumis depuis le début de la Saison 3 et l’arrivée de Denis. Nous pensons que ces souffrances sont en quelque sorte structurelles, qu’elles n’ont pas forcément un rapport direct avec sa personne, mais qu’elles sont plus globalement liées au mode de fonctionnement du Média.

Le Média n’est pas une rédaction comme les autres. Nous sommes une petite équipe, compte tenu du public et du nombre de socios qui nous soutiennent et participent à la vie (rocambolesque) du journal. Nous n’avons pas beaucoup de matériel ni de moyens, nous sommes plutôt jeunes et manquons d’une certaine expérience, nous nous débrouillons pour effectuer plusieurs tâches en même temps et sortons souvent tard le soir, pour nous assurer qu’un sujet soit bien fini avant d’être publié, qu’un plateau en direct soit bien mené, qu’un live Facebook soit bien diffusé, qu’un article paraisse sans fautes d’orthographe.

Cet effort collectif n’existe que par deux conditions : le soutien des socios et le degré d’implication de celles et ceux qui travaillent au Média.

Cet effort collectif n’existe que par deux conditions : le soutien des socios et le degré d’implication de celles et ceux qui travaillent au Média. Ces derniers sont engagés non seulement en tant que salarié-e-s, mais aussi parce qu’ils savent que c’est un outil collectif, auquel tout le monde peut participer, qu’il ou elle soit journaliste ou non. C’est ce qui permet notre existence et notre développement. Car malgré tout, le Média grandit.

Depuis le début de la saison, il y a un flou quant au statut de Denis. S’il est arrivé en jurant qu’il ne serait pas chef, qu’il n’avait pas envie d’être aux commandes, un conflit s’est développé rapidement autour de ses prérogatives et de son comportement, peu compatible avec un environnement de travail horizontal régi en bonne partie grâce à l’auto-organisation.

La réorganisation de la rédaction par pôles et la suppression du poste de directeur de la rédaction (ce qui ne veut pas dire le licenciement de Denis, au contraire) sont justement une tentative pour sortir de ce conflit. Nous fonctionnons déjà comme ça depuis quelques temps : on se fait confiance pour la couverture de telle ou telle thématique, pour assurer le circuit de la copie et toutes les tâches qui font que le Média existe. Ceci est devenu d’autant plus évident depuis le confinement – puisque Denis est absent depuis le mois de mars et qu’on n’a aperçu Serge à la rédaction que très sporadiquement.

Il s’agissait d’acter ce mode de fonctionnement qui, en très grande partie, est déjà le mode actuel de fonctionnement du Média. Ce mode d’existence a, depuis le début, découragé et agacé Denis. Cela fait plusieurs mois qu’il n’assure plus son rôle de directeur de la rédaction. C’est que notre mode de fonctionnement supporte mal le type d’autorité qu’il a voulu instaurer, ou qu’il pensait utile au développement du Média.

Au fur et à mesure, ce conflit s’est répandu entre les rangs, se traduisant par un management peu clair et parfois violent, appuyé notamment par l’un des rédacteurs en chef. On a régulièrement mis en cause l’engagement de certains salariés, notamment au sein de la rédaction, accusés d’être payés à ne rien faire, alors qu’on ne compte plus les heures supplémentaires. Trop de remarques sexistes ont été proférées, y compris dans certaines émissions. Des travailleurs.ses en arrêt-maladie ont été vilipendé.e.s en leur absence. On a eu droit à des commentaires déplacés sur nos salaires (pourtant parmi les plus bas de la boîte), qui auraient été trop élevés par rapport à nos productions, ou encore quand il s’est agi de poser nos congés. On a mis beaucoup de pression sur certain.e.s travailleurs.ses, jusqu’à frôler le burn-out.

Le collectif a régulièrement été écarté des décisions. Cela s’est produit lorsqu’il a fallu accepter ou refuser des piges, faire ou ne pas faire des sujets, suivre ou ne pas suivre des événements.

Denis nous a amené de par son travail d’excellentes collaborations et d’excellents sujets. Il a réussi à relever le collectif après le départ d’Aude Lancelin, il a rencontré un vif succès avec ses éditoriaux et largement contribué au développement du Média cette année. Mais il a aussi imposé d’autres sujets qui ont créé beaucoup de tensions au sein du collectif de travail, bien au delà de la rédaction. Ce même collectif a régulièrement été écarté de ses décisions. Cela s’est produit lorsqu’il a fallu accepter ou refuser des piges, faire ou ne pas faire des sujets, suivre ou ne pas suivre des événements. Cela s’est produit aussi quand il a fallu penser au développement du Média, comme lorsque Denis a fortement sponsorisé un nébuleux accord avec une millionnaire engagée dans le soft-power de l’État israélien pour un financement qui aurait dû se chiffrer en centaines de milliers d’euros, accord auquel la rédaction était très majoritairement opposée et qui ne s’est (heureusement) jamais concrétisé.

Ce “mauvais climat”, pour citer le communiqué du SNJ, est imputable à ce conflit entre la nécessaire horizontalité de nos processus de travail et le rôle de directeur tel qu’il a été assumé par Denis. C’est sur ce terreau fertile que s’est développé le conflit autour des salaires.

Tout le collectif de travail était extrêmement satisfait de notre passage en coopérative, ce qui fera du Média l’une des premières coopératives médiatiques de France.

Tout le collectif de travail était extrêmement satisfait de notre passage en coopérative, ce qui fera du Média l’une des premières coopératives médiatiques de France. Dans les statuts de la future coopérative, les travailleurs ont décidé par une large majorité d’insérer une clause d’encadrement entre les plus hauts et les plus bas salaires : c’est un principe auquel nous sommes très attachés, sain et très commun au sein des coopératives, par ailleurs mis en place dans plusieurs médias indépendants (comme Arrêt sur Images, où le ratio est de 1 à 3). C’est aussi une position massivement soutenue par les Socios – on s’étonnerait du contraire.

Certains, notamment Serge Faubert et Denis, se sont cependant élevés contre cette clause d’encadrement des salaires. “Je suis défavorable à l’inscription dans les statuts” d’une telle clause, nous a écrit Denis à l’époque, arguant que s’il fallait vraiment un rapport, le 1 à 7 était préférable. Selon lui, il s’agissait de mettre le Média à l’abri d’éventuelles querelles judiciaires.

Face au refus des travailleurs.ses et des socios de se plier à une telle démarche, complètement à l’opposé des valeurs du Média, Denis avait souhaité nous avertir que “si vous continuez à persévérer dans votre obsession qui met gravement en danger l’ensemble du Média, chacun va devoir respecter scrupuleusement les clauses de son contrat, et ce ne sera que JUSTICE et ETHIQUE”, et plus loin, “On arrive à un point de rupture là”.

Il est agaçant de voir relégué au rang d'”obsession” le travail entamé pour faire du Média une coopérative inédite, démocratique, qui implique socios et salarié.e.s. D’autant plus qu’à cette question s’est ajoutée celle des salaires.

Il est agaçant de voir relégué au rang d'”obsession” le travail entamé pour faire du Média une coopérative inédite, démocratique, qui implique socios et salarié.e.s. D’autant plus qu’à cette question s’est ajoutée celle des salaires, évoquée plus haut.

Denis Robert a droit au plus haut salaire de la boîte, ce qui s’entend, au vu de sa réputation, de son ancienneté, de ses qualités et de ce qu’il a apporté au Média. Serge Faubert, lui, se situe parmi les plus hauts salaires de l’entreprise. Ils ont demandé à ce qu’on augmente le nombre de jours de leur forfait-jours, ce qui implique mécaniquement une augmentation de salaire conséquente. Ceci aurait constitué un effort considérable pour le Média et aurait empêché les recrutements nécessaires demandés depuis plusieurs mois par une rédaction en sous-effectif.

Pour le dire plus simplement : si on veut se développer, on ne peut pas se permettre de payer certains d’entre nous comme des hauts fonctionnaires, quelles que soient leurs qualités. Nous estimons par ailleurs que cela n’est pas souhaitable : veut-on vraiment reproduire les dynamiques les plus néfastes de la presse patronale, fondée sur une division nette entre un précariat massivement au SMIC ou presque dans les rédactions et des salaires dignes de ministres chez les dirigeants ? La réponse ne peut qu’être négative.

C’est dans ce cadre que nous avons essayé, collectivement, d’acter notre mode de fonctionnement un peu spécial, pour essayer de sortir de ces dynamiques malsaines. On s’apprêtait par ailleurs à en discuter collectivement, pour essayer d’organiser ce changement et de le rendre effectif, quand le SNJ a décidé de mettre le feu aux poudres et de balancer nos discussions internes au Monde.

Le but de cette réorganisation n’est pas de limoger Denis, au contraire. Il s’agit de trouver un cadre où lui pourrait garder un rôle central au sein du collectif, avoir toute la liberté de production qu’il souhaite, continuer à nous apprendre et transmettre son expérience, et bien sûr conserver son salaire tout en actant une gestion collégiale de notre structure. L’expérience du Média montre, en effet, que la gestion assurée par une figure de proue ne résulte jamais en une gestion saine. Si on veut se développer, il nous faut sortir de ce cadre et assurer une gestion démocratique et horizontale, bien plus solide que celle assurée par une figure de référence, soit elle Denis Robert, Aude Lancelin ou Sophia Chikirou. Nous sommes navrés que cette discussion, quoique vivace, ait été brusquement arrêtée par les “révélations” du délégué du SNJ dans la presse.

Enfin, nous tenons à répondre aux affirmations trompeuses que Serge Faubert a cru bon d’écrire dans son dernier communiqué estampillé SNJ : au delà des attaques à l’encontre de la Société des journalistes, dont il fait pourtant partie et dont il est tout à fait au courant des agissements, Serge affirme que Bertrand Bernier (directeur de la production) serait membre de la CGT. C’est tout simplement faux, et ce manque de rigueur dans la simple vérification des informations a de quoi surprendre, chez quelqu’un qui se plaît à rappeler son titre de “grand reporter”. Et quand bien même, est-ce un comportement digne d’un syndicaliste de révéler l’appartenance d’un syndiqué, ce qui n’appartient qu’à lui ?

C’est d’ailleurs bien la section CGT qui a fait en sorte que nous puissions obtenir des élections du personnel cet automne.

Il affirme aussi que la CGT serait une “section syndicale fantôme”, qui existe pourtant au Média depuis 2018, et compte 7 membres depuis l’hiver 2019. C’est d’ailleurs bien la section CGT qui a fait en sorte que nous puissions obtenir des élections du personnel cet automne, dans le cadre d’une discussion à laquelle nous nous étonnons que le SNJ n’ait jamais pris part. Mais cela est peut-être dû au fait que le SNJ n’existe que depuis quelques jours, et que son intérêt ne semble pas être la défense de tous les salariés, mais seulement de ceux qui sont les mieux payés et/ou qui occupent un poste de dirigeant. Peut-être que nous n’avons pas des salaires assez hauts, nous, journalistes ou pas, pour que le SNJ et son délégué s’intéressent à la survie de nos postes.

Nous nous étonnons aussi que Serge Faubert se scandalise du fait que des travailleurs.ses aient apporté leurs signatures en bas du communiqué publié conjointement par la CGT, la SDJ et des travailleurs.ses. Elles seraient selon lui “des personnes extérieures à l’entreprise” auxquelles on aurait offert on ne sait quoi “en échange de leur paraphe”. Ces personnes ne sont en rien extérieures à l’entreprise : ce sont des collaborateurs réguliers, rémunérés à la pige et intermittents : elles ont à ce titre toute légitimité à participer à la vie du Média, comme devrait sans doute le savoir un syndicaliste aussi aguerri que Serge Faubert. Et non, on ne leur a rien promis : les gens ont leur intelligence, principe qui échappe à ce syndicaliste qui montre autant d’attachement à l’argent que de désintérêt pour le collectif et ses collègues.

Depuis le début de cette histoire, le SNJ – via son représentant Serge Faubert – n’a fait que causer du tort au Média et à ses travailleurs.ses. En faisant fuiter des débats internes dans la presse, le SNJ a activement mis en danger les salaires d’une bonne vingtaine de personnes, tout en réduisant drastiquement les possibilités d’une résolution apaisée de ce conflit. En calomniant les journalistes et les travailleurs.ses qui n’ont pas souhaité suivre le SNJ dans cette démarche néfaste, le SNJ contribue effectivement à nuire aux travailleurs.ses du Média. Nous déplorons que le SNJ se prête à ce type de manœuvres.

Nous, membres de la CGT, sommes dans une démarche différente, et souhaitons que cette crise s’arrête au plus vite, pour que les travailleurs.ses et les socios puissent continuer les transformations dont le Média a besoin et reprendre en main leur outil de travail.

Les travailleurs.ses de la CGT Le Média
Le 16 septembre 2020.

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