“La Nouvelle République” : pourquoi le SNJ-CGT refuse le forfait-jours que la direction veut imposer aux journalistes ?

0  -  Article mis à jour le 11 octobre 2023

Bulletin du SNJ-CGT de “La Nouvelle République”

Après plusieurs mois de discussion avec les syndicats et des représentants de la rédaction, la direction de La Nouvelle République a unilatéralement suspendu les négociations sur la grille des journalistes, en se focalisant sur notre refus du forfait-jours. Ce revirement augure mal de la négociation annuelle obligatoire (NAO) à venir.

Mardi 26 septembre 2023, la directrice des ressources humaines et le rédacteur en chef de La Nouvelle République décidaient unilatéralement de suspendre, à la surprise des syndicats, les négociations engagées depuis le printemps pour la refonte de la grille des journalistes (1). La pierre d’achoppement serait, selon la direction, le forfait-jours…

Comment ce qui n’était qu’une option à l’entame des négociations (2) est devenu un pré-requis de la direction et un prétexte pour interrompre des négociations sur la grille que les syndicats de journalistes réclament depuis des années, exigence que la grève de 2022 a réaffirmée avec force ?

Comment ce qui n’était qu’une option à l’entame des négociations (2) est devenu un pré-requis de la direction et un prétexte pour interrompre des négociations sur la grille que les syndicats de journalistes réclament depuis des années, exigence que la grève de 2022 a réaffirmée avec force ?

Perplexité de la rédaction après la tournée des départements

Le forfait-jours, cette nouvelle doxa managériale, serait l’outil parfait pour encadrer le travail des journalistes, auxquels il va redonner la pleine maîtrise de leur emploi du temps, puisque, c’est une évidence, leur fonction est par nature basée sur une totale autonomie.


Comment avons-nous pu nous en passer jusqu’à présent ? Faute de savoir convaincre les syndicats, la direction a pris son bâton de pèlerin pour aller expliquer tous les bienfaits de son projet, directement face aux rédactions départementales. Certaines ont été sensibles au fait de voir en chair et en os un directoire qui n’y avait pas mis les pieds depuis plus de 15 ans. Maigre récolte toutefois, puisque c’était plutôt la perplexité qui dominait parmi les collègues à l’issue des ces grand-messes.

Le forfait-jours déresponsabilise la direction

Pourquoi le SNJ-CGT refuse-t-il d’y voir un progrès social qui sauterait aux yeux, selon la direction ? Tout d’abord, parce que cette insistance de la direction nous paraît très suspecte. Nous n’oublions pas la dénonciation des accords journalistes, le 16 mai 2023, en prélude aux négociations, et la menace à peine voilée d’un fort recul social si nous n’acceptons pas les conditions de la direction.

Nous travaillons dans un quotidien et l’essentiel du travail des journalistes est dicté par le planning. Si on signe pour le forfait-jours, la responsabilité de mauvaises conditions de travail n’incombera plus à l’entreprise, mais au salarié qui ne sait pas s’organiser.


Le forfait-jours doit répondre à un certain nombre de conditions, dont, en premier lieu, un métier en autonomie, au sens de la gestion de son temps de travail ; et c’est là où se situe la vraie menace. Nous travaillons dans un quotidien et l’essentiel du travail des journalistes est dicté par le planning. Si on signe pour le forfait-jours, la responsabilité de mauvaises conditions de travail n’incombera plus à l’entreprise, mais au salarié qui ne sait pas s’organiser.

« Tu as trop de travail ? Non, tu ne sais pas t’organiser. »

La directrice des ressources humaines rétorque que le forfait jours permettra de mettre en place un outil de mesure des conditions de travail (donc des amplitudes horaires), via un entretien annuel avec son supérieur hiérarchique.


Le forfait- jours autorise, sur la base d’un lissage annuel, de passer de 35 à 44 heures par semaine, voire 48 heures sur de courtes périodes. C’est déjà le lot d’un certain nombre d’entre nous. Un constat de longue date que la direction récuse régulièrement.

On imagine, dans un rapport évident d’égalité, le salarié dénoncer à son manager une masse de travail trop importante, des amplitudes au-delà du code du travail et la fatigue qui en découle. Avec bienveillance, on lui répondra que son travail est trop lent, mal organisé, on le comparera avec des collègues et, au mieux, on lui prescrira une formation. Et on mettra en valeur les brèches dans son emploi du temps qui lui permettent, sans avoir à se justifier, d’honorer un rendez-vous médical. Le forfait- jours autorise, sur la base d’un lissage annuel, de passer de 35 à 44 heures par semaine, voire 48 heures sur de courtes périodes (3).

C’est déjà le lot d’un certain nombre d’entre nous. Un constat de longue date que la direction récuse régulièrement.

La poursuite des négociations était possible

Le refus des syndicats n’est qu’un prétexte pour la direction. Rien n’empêchait de poursuivre le travail de négociation sur les nombreux autres points de cette refonte de la grille. On entend déjà le discours : « Vos syndicats ont perdu du temps avec leur refus. La situation économique s’est dégradée, nous ne sommes plus en mesure de tenir les engagements que nous avions pris au début des négociations, en termes de budgets… »

Le refus des syndicats n’est qu’un prétexte pour la direction. Rien n’empêchait de poursuivre le travail de négociation sur les nombreux autres points de cette refonte de la grille.

Rappelons à ce titre l’entourloupe managériale très mal vécue par les élus, consistant à promettre, en plein conflit social, la rétroactivité au 1er janvier 2023 en guise de coup de pouce au pouvoir d’achat et d’avancée significative pour mettre fin à la grève de 2022. Quelques mois plus tard, au cœur des négociations, ce ferme engagement a été purement et simplement écarté devant les délégués syndicaux : selon la direction, il s’agissait d’une « parole en l’air » et la rétroactivité n’existerait qu’à partir du 1er janvier 2024 ! C’est une preuve de plus de la voie dans laquelle la direction en général – et la DRH en particulier – veulent nous emmener : travailler plus pour gagner moins, notamment pour les plus jeunes.

Il y a toujours de l’argent pour la hiérarchie

Depuis des décennies, et encore plus la peu encourageante « gestion du déclin » théorisée par notre directeur de la publication, les arguments économiques ont toujours été avancés pour justifier l’absence de hausse des salaires et du pouvoir d’achat des journalistes de la rédaction. Mais un certain nombre d’embauches dans la hiérarchie, très coûteuses pour les finances de l’entreprise, ont pourtant toujours été possibles. Même en période de crise, des marges de manœuvre existent.

Rappelons que la grève de 2022 faisait suite à une très mauvaise proposition dans le cadre de la NAO et qu’elle n’est que suspendue en attendant l’issue des négociations sur la grille. Jouer la montre aura vite raison de la patience dont a fait preuve, jusqu’à ce jour, la rédaction.

Tours, vendredi 6 octobre 2023.

(1) Voir le compte rendu intersyndical du 26 septembre 2023. 

(2) Au début des négociations, le forfait-jours n’était qu’une piste envisagée par la direction (au même titre que la diminution des congés payés), comme en témoigne le compte rendu de la réunion du 16 mai 2023. Par ailleurs, la direction avait d’emblée sorti les éditeurs de ce dispositif (reconnaissant que leur travail était désormais posté, selon des horaires précis). 

(3) C’est aussi ce qui s’est rapidement imposé à France Télévisions (lire l’article de la revue Témoins du SNJ-CGT, en pièce jointe). Une étude de la Dares, publiée en juillet 2015, montre que les cadres au forfait-jours travaillent en moyenne 44,6 heures par semaine (le total montait même jusqu’à 50 heures par semaine, pour 39 % des interrogés).

Télécharger le bulletin en PDF

Top