Communiqué du SNJ-CGT
Pendant la crise sanitaire, les affaires continuent !
La première chaîne tout-info nationale, BFM, s’est attaquée à l’information régionale, avec la mise en place de BFM Lyon, BFM Paris, Grand-Lille TV et Grand-Littoral (à Boulogne, Calais et Dunkerque). Et d’ici à un an, la chaîne de Patrick Drahi veut s’installer dans une dizaine de grandes villes.
Pour s’en donner les moyens, son propriétaire, le groupe Altice France, « se rapproche » du réseau de chaînes de télés locales Via, qui compte une vingtaine de structures dans toute la France. Le JDD et la Lettre de l’Expansion rapportent que la future « BFM Via Régions » est en cours de création et surtout, le CSA lui a donné son feu vert le 27 mars dernier !
Cette future société commune « permettra des synergies » en matière de publicité et d’échanges de programmes » entre BFM et Via. Conséquence : les ex-TV Sud Camargue-Cévennes (Nîmes, Alès), TV Sud Montpellier, TV PO (Perpignan) et TV Sud Toulouse pourront bientôt diffuser deux heures de programmes d’info locale inédits.
Si BFM vise la régionalisation, c’est qu’il y a de l’argent à gagner ! En rognant sur les positions de TF1-Bouygues, déjà présente dans certaines régions grâce à des accords entre la presse régionale, les conseils régionaux et certaines de ses filiales qui font vivoter des chaînes locales (Wéo dans les Hauts-de-France et TV7 Bordeaux, par exemple).
Mais surtout sur le dos de la télévision publique régionale ! C’est bien le réseau France 3 qui est visé, ainsi que son public, fidèle et conforté en ces temps de pandémie, avec un indice de confiance de 78 % (Ipsos) et ses ressources publicitaires locales convoitées.
De là à imaginer que le CSA a anticipé (à tort?) la future distribution des canaux 14 et 19 de la TNT, « libérés » par la disparition des chaînes linéaires France 4 et France Ô, il n’y a qu’une crainte, que certains expriment déjà.
Sinon, pourquoi le CSA organiserait-il ainsi la concurrence télévisuelle régionale en pleine crise sanitaire ? Est-ce une manière d’accompagner les exigences d’économies que le gouvernement impose au service public ? En tout cas, l’annonce de la transformation prochaine de France 3 Régions en un réseau de 13 futures chaînes régionales, à l’image de NoA à Bordeaux (chaîne créée en partenariat avec le Conseil régional de Nouvelle Aquitaine) est le signe que l’info régionale est devenue un enjeu stratégique majeur, démocratique mais aussi financier.
D’autant que la future loi audiovisuelle pourrait instituer le ciblage des publicités sur les box par géolocalisation. Au moment où l’information régionale de service public n’a jamais été aussi nécessaire et aussi crédible, la voilà menacée par une concurrence qui a le profit pour raison d’être et qui est manifestement chouchoutée par certaines autorités.
France 4 et France Ô : ces chaînes publiques qu’on abat… et qui résistent !
Quel drôle de retournement de situation ! Voila que le virus tueur va peut-être ressusciter ces chaînes du service public – France 4 sur le canal 14 et France Ô en position 19 – vouées à l’extinction hertzienne le 9 août. En tout cas, un sursis vient déjà d’être annoncé, puisque « l’offre éducative linéaire est prolongée jusqu’au 3 juillet ». Les besoins de la « Nation apprenante » sont passés par là, la réactivité et l’excellence des programmes éducatifs de crise proposés par France 4 aussi : Lumni ! et la lumière fut…
Quant à France Ô, basée à Malakoff, la chaîne des territoires d’outre-mer est la seule à pouvoir s’adresser à tous les ultramarins, eux aussi confinés, en maintenant le lien avec l’Hexagone. Toutes les organisations syndicales de France Télévisions ont, dans un communiqué commun (lire ici), souligné combien ces deux chaînes de télévision avaient prouvé leur utilité sociale, culturelle, éducative par temps de crise sanitaire, pour ceux qui souffrent d’isolement ou qui sont victimes de fracture numérique.
Les organisations syndicales ont ainsi appelé la présidente de France Télévisions Delphine Ernotte à travailler à un projet de développement basé sur le maintien des moyens actuels. Il semblerait, d’après les échanges du CSE central du 28 avril, que la présidente ait présenté un plan de continuité pour les deux chaînes. Quant au ministre de la Culture, on a crû comprendre que courageusement, il laissait à France Télévisions la responsabilité de décider la poursuite ou non de la diffusion hertzienne. En tout cas, tout le monde a bien constaté que seul le linéaire peut atteindre tous les publics en périodes de crise, vouées à se reproduire.
Réforme de l’audiovisuel, où est l’urgence ?
Le maintien de France 4 sur le canal 14 de la TNT a donc désormais ses défenseurs du côté des parlementaires, qui planchent sur le futur projet de loi audiovisuel et dont certains voudraient d’ailleurs qu’il soit mis au débat à l’assemblée avant l’été. Le SNJ-CGT ne voit pas l’urgence qu’il y a à créer la holding France Médias en période de crise sanitaire, où tous nos repères sont brouillés, toutes nos conditions de travail bouleversées, tous nos programmes modifiés… Sauf à jouer les apprentis sorciers ?
Quant à la modification de la chronologie des médias (délais imposés pour l’exploitation d’un film en salle, en vidéo, à la télévision…) pour laquelle les plates-formes (Disney/Canal+, Netflix, Amazon prime video, Apple TV…) affutent leurs armes, elle peut attendre la sortie de crise, d’autant que les films victimes du confinement lors de leur sortie en salle peuvent, par dérogation, bénéficier d’une diffusion par VOD plus précoce.
Alors, où est l’urgence ? A qui profite le « crime » ? En tout cas pas à l’audiovisuel public, pour lequel le SNJ-CGT réclame toujours l’inscription du financement dans la Constitution, un sujet évacué de la future réforme !
Pendant la crise sanitaire, l’exploitation continue !
Le virus a touché de plein fouet les salariés précaires, qu’ils soient journalistes pigistes, en CDD, fidèles de l’audiovisuel public ou embauchés par les « boîtes de prod » privées et souvent sous contrats non conformes. L’annulation de commandes de programmes par les chaînes, l’arrêt ou le report des tournages de fiction, magazines et documentaires ont, du jour au lendemain, réduit les journalistes non permanents à l’inactivité forcée.
La CGT se bat aux côtés des précaires sur tous les fronts : dans le public, pour tenter d’élargir à toutes les sociétés la proposition de Radio-France d’indemnisation des précaires, ce qui est loin d’être gagné ! Et dans le privé, pour que tous les pigistes, journalistes en CDD et même en CDDU puissent bénéficier du dispositif d’activité partielle. Conclusion encore plus flagrante en temps de Covid-19 : la meilleure protection, c’est évidemment le CDI !
L’effet d’aubaine pour des pratiques professionnelles non cadrées !
L’audiovisuel public – radio ou télé – est évidemment contraint de « baisser la voilure » en terme de fabrication de programmes et d’information pour protéger ses salarié.es. Logique. Mais ce qui l’est moins, à Radio France comme à France Télévisions, c’est que certains managers, en apprentis sorciers, profitent de l’exigence de confinement d’un maximum de salariés pour tenter des expérimentations sauvages de pratiques professionnelles dégradées, non négociées et non cadrées (lire également le communiqué de la CGT Radio France).
Ainsi à France Télévisions, certains incitent des journalistes à tourner seul avec un smartphone, ce qui est contraire à l’accord d’entreprise. Pire : dans certaines rédactions, on demande à des citoyens triés sur le volet – genre dirigeant de PME… – de se filmer au smartphone en racontant leurs déboires (lire également le communiqué du SNJ-CGT de France Télévisions). Des séquences diffusées dans les journaux télévisés régionaux, sans aucune distance, sans vérification des informations ni recoupement, sans enquête et sans mise en perspective… Voire sans l’intervention d’un journaliste ! Démagogie, dévalorisation du métier, empilement des tâches pour limiter les “équivalent temps plein »… Des « profiteurs de guerre » à l’œuvre pour baliser les pratiques du « monde d’après » ?
La crise du Covid-19 a poussé au paroxysme des comportements -atteintes au pluralisme, à la qualité de l’information, aux conditions de travail, aux bonnes pratiques professionnelles, abus de précarité… – qui doivent définitivement disparaître du paysage médiatique. Ce sont autant de chantiers prioritaires dans l’optique du « jour d’après » pour le SNJ-CGT.
Montreuil, le 4 mai 2020.
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